Sur les froides montagnes d’Arcadie, écrit Ovide dans ses Métamorphoses, vivait une naïade : son nom était Syrinx. Elle était belle, vive, et plut pour son malheur à Pan, dans les forêts. Pour échapper aux ardeurs du dieu, elle se changea en roseau, sur les rives du fleuve, et des tiges fragiles par le vent balancées, l’amant frustré fit la première flûte : « ainsi, mon entretien avec toi durera toujours ». Instrument des fuites, la flûte porte ainsi dans son imaginaire la brûlure du désir et le chagrin de l’absence, l’exaltation et le deuil. Car aux yeux de Pan, le roseau est le corps de Syrinx, tangible enfin sous sa bouche, et pourtant inaccessible.
Cet érotisme à la fois violent et funèbre passionna les auteurs qui, de la fin du XIXe aux années 20, firent vivre un art « fin-de-siècle » pétri de symbolisme, allant parfois jusqu’à s’auto-proclamer décadent. Gabriel Mourey, dramaturge ami de Debussy, demanda ainsi à ce dernier de composer une musique de scène pour sa pièce Psyché, dont l’Acte III représente des nymphes que les accents sensuels de la syrinx émeuvent :
Mais voici que Pan de sa flûte recommence à jouer…
Il semble que la Nuit ait dénoué
Sa ceinture et qu’en écartant ses voiles
Elle ait laissé, pour se jouer,
Sur la terre tomber toutes les étoiles…
La douceur
Voluptueuse éparse en cette nuit m’affole…
Autour du remarquable solo de flûte que Debussy conçut pour la pièce, sobrement intitulé Syrinx, José-Daniel Castellon et Veronica Kuijken ont rassemblé quelques perles de ce répertoire qui, au tournant du siècle, offre à l’instrument l’un de ses âges d’or. La nature, l’amour et la mort, tout est transfiguré par la grâce du souffle et l’écho des anciens mythes résonne pour nous.
Bonne écoute !
A. Clapet  /  Rêverie & Petite Valse
M. Ravel  /  Sonate posthume M.12 (arr. José-Daniel Castellon)
G. Fauré  /  Fantaisie pour flûte et piano, Op. 79
P. Taffanel  /  Andante pastoral et Scherzettino
C. Debussy  /  Syrinx pour flûte seule, C.D. 137
M. Pilati  /  Sonate pour flûte et piano